Pour comprendre le monde dans lequel nous sommes entrés, celui de la mondialité connexe et synchrone, la meilleure méthode est de s’inspirer des enseignements des auteurs pragmatistes, philosophes et sociologues, qui, tout au long des siècles passés, depuis les Grecs jusqu’à Richard Rorty, se sont évertués, et limités, à interpréter le leur. Loin de rechercher la vérité, de courir après une transcendance ou de vouloir accéder à l’essence des choses, le pragmatisme méthodologique s’efforce plus modestement de contextualiser la pensée qui guide l’action des hommes.
Le premier objectif de ce livre est de retracer les parcours intellectuels de tous ceux qui ont permis, d’une manière ou d’une autre, l’éclosion de l’épistémologie pragmatiste. Celle-ci voudrait faire partager l’idée que l’objet de la science politique consiste à interpréter les configurations interactives de pouvoirs et d’acteurs qui se proposent à elle. Et cela sans aucune prétention universelle ou prescriptive, mais en restaurant le lien, rompu par les Modernes, entre la culture et la nature.
Le moment de cette mutation est particulièrement propice. En effet, le monde est entré, depuis sa globalisation, dans une ère post-occidentale et post-moderne. Or, cette mondialité effective est caractérisée par l’existence de plusieurs nœuds gordiens dont nul ne peut prévoir comment ils seront tranchés. Au moment où a été écrit ce livre, avant l’irruption de la pandémie globale du coronavirus qui ajoute un autre stress, cinq d’entre eux étaient identifiables : celui du changement climatique et de la sauvegarde de l’environnement, celui de la démographie mondiale et de ses déséquilibres, celui de l’avenir incertain de la croissance économique, celui des sociétés fragmentées et numérisées, et enfin celui des nouvelles architectures de la puissance internationale et civilisationnelle. La complexité de leurs interactions ne laisse place qu’à l’interprétation et qu’à des politiques commandées par l’adaptation et par la survie.