Tropinka – Revue

« Il y a deux chemins : celui de la vie et celui de la mort ; mais il y a une grande différence entre les deux chemins. »
Didachè, I, 1

La création de TROPINKA sur Internet amorça le cheminement créatif d’une théorie littéraire contemporaine, non pas anti-moderne mais non-moderne. Une expérience de « livre vivant » se développant d’elle-même et en elle-même face à la constatation du caractère de plus en plus mortifère, thanatologique, cadavérique de l’expérience littéraire et du fait livresque chosifiant. Ce cheminement abouti aujourd’hui, de manière hautement paradoxale, en la création d’une revue et se ramifie en une collection de « livres », précisément. Ce qu’il ne fallait pas faire est donc, paradoxalement fait, établi.

Théorie en essor, en devenir donc, et qui mérite bien que l’on explique brièvement sa genèse en précisant qu’elle se comprend dans ce contexte selon son étymologie, c’est-à-dire comme contemplation, theoria.

TROPINKA signifie, en russe, « la voie étroite ». Selon les Pères du désert, la voie étroite c’est abandonner ses possessions, ce que nous possédons autant que ce qui nous possède. Laisser tout ce que l’on a. Assez facilement, chacun pourrait ajouter « pour être », opposer l’être à l’avoir c’est assez simple, en effet. Mais, précisément, pour s’engager sur l’étroite voie ne convient-il pas également d’oser laisser ce que l’on « est », ce que l’on croit être ? Alors faut-il se dégager, se décharger tout aussi bien de ses idées, bonnes ou mauvaises, de ses pensées fussent-elles, selon nos critères, généreuses, et pour de bon, laisser aussi nos critères, toutes choses qui sont du domaine mortifère de la « lettre » !

Sur la voie étroite, plus de livres, donc, pas de ces matières éteintes qui mortellement enferment. Et, pourtant, en se dépouillant se faire, progressivement, livre vierge offert à l’écriture des énergies divines, le sentier se fait labyrinthique autour du centre-sujet éternellement recherché (o zétoumenos).

Saint Jean Damascène nous enseigne que « l’homme de la chute » est privé de « tout dire » (pan rhètos) de Dieu. Il n’a plus « l’intelligence » du Verbe divin, il reste extérieur à la Révélation biblique, hermétiquement clos à la « logosis », extérieur aussi à la Création du Logos ! Il se tient au dehors de la parole créatrice, seul vecteur d’intégration à la nature réelle de la Création. L’homme couronna la Création, il la domine mais amoureusement, afin de la porter avec lui vers la déification.

Tant la littérature que la politique sont des conséquences de la chute qui fut comme un court-circuit de l’énergie qui irrigue l’homme. L’écriture « faite littérature » n’est-elle pas la vanité des vanité, la paranoïa de l’individu divisé contre lui-même, le cercle vicieux de l’ego autour de lui-même ? Le langage est devenu vecteur de mort — de négativité, mais demeure en lui, en sa profonde nostalgie du « dire de Dieu », de cette parole qui le nourrissait hier encore, la vérité du Verbe-Vie. Il faut dès lors inverser l’inversion parodique, inverser tout le tout de l’inversion.

Ecrire c’est avant tout s’écrire, se réécrire intérieurement, en secret, en vue de l’éternité que la langue ne saurait excéder mais vers laquelle elle nous porte. L’écriture est cette langue qui porte l’éternité, et porte à l’éternité, en ce qu’elle ne peut et ne sait dire. C’est en elle, en son intériorité, que s’épanche la langue authentique de l’eso-anthropos, le « dire » de Dieu, secret, incommunicable, indicible mais participable…

Il ne saurait être question de mystique dans le sens très particulier que lui confère très spécialement la fausse langue occidentale. Le grec mystikos signifie « secret » et se rapporte au mystère et à l’oikonomia divine, contre-partie à l’envahissement économique matérialiste très actuel. Ce qui va « sans dire », le décentrement total et totalement paradoxal-paranoïaque de « ce monde » va tout de même mieux en le disant. Exorciser le langage et s’exorciser du langage afin qu’il se fasse métanoïa, le faire et se laisser faire louange ! Il s’avère urgent, non pas d’anéantir le néant, mais d’en recouvrer la charge positive, créative, c’est-à-dire poïétique !

La langue héraldique, langue des hérauts, est une « arme » secrète qui sait dépouiller la langue de toutes ses possessions. Une langue apophatique qui doit nous servir de modèle pour recouvrer le dire de l’homme intérieur (eso-anthropos). Langue politique autant que poïétique par laquelle dépouiller de toute fausseté toutes les opinions et convictions qui enserrent nos coeurs et en font les premiers lieux pollués de ce monde qui, premier principe égolâtre, ne veut que se mirer en eux… Frapper et blasonner « sur-tout contre-tout » !

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